Un rapprochement  inattendu

(oeuvre fictive)

Quelqu'un frappa à ​la porte. 
Déconcerté, lui étant seul à la maison il n'avait pas l'habitude d'avoir de la visite, pourtant les coups à la porte se répétèrent avec de plus en plus d'insistance. Il n'osait pas y aller, il avait eu vent de départs pour la guerre et il avait peur de faire parti des prochains envoyés au front... Sa première envie était de fuir, fuir aussi loin que possible car il savait pertinemment ce qui l'attendait s'il ouvrait cette porte. Alors, peu confiant mais tout de même en gardant son courage, il regarda par la fenêtre, et​ il vit un grand homme. Il décida d'aller ouvrir malgré la terreur,​ il regarda cet homme avec les traits du visage très sérieux et fatigués. 
L'air perplexe, l'homme lui dit une phrase dont il se souviendrait toujours :
" - Edouard Orliange? Je suis vraiment désolé petit...
Orliange ne comprenait pas trop la situation, bien qu'au fond il savait de quoi il retournait. 
 - Pourquoi êtes-vous désolé? Et qui êtes-vous?
 - Et bien je suis le maire de la commune et j'ai la tâche de te prévenir que tu es appelé au front, il faut que tu prépares tes affaires, tu pars dans deux jours. 
 - D'accord, mais pourquoi n'ai-je pas été appelé comme tous les autres, par affiches?
  - Et bien, d'après ce que je sais de toi, tu as été placé sous tutelle et tu n'es pas encore inscrit sur les registres de la commune donc je suis venu te chercher en personne."
Le maire partit et Edouard retourna dans sa demeure, encore seul pour le moment, il resta là, debout, dans l'entrée avec le regard perdu et un visage sans expressions. Il ne savait plus du tout quoi penser ni quoi faire...
Quelques minutes plus tard, il sursauta et se ressaisit quand Mme Prinsaud, la femme de son tuteur ouvrit la porte. Il regarda cette personne droit dans les yeux, et elle ne comprenait pas la situation, aucun son ne sortait de sa bouche et il partit dans sa chambre pour s'enfermer.  Dans sa tête, tout était mélangé,confus...  Il avait ce côté euphorique lorsqu'il se disait qu'il pourrait défendre le pays, le fait qu'il puisse devenir un héros le réjouissait. Mais la réalité le rattrapait assez vite, pendant le temps où il resta enfermé seul, il avait pensé à toutes les horreurs qui pourraient lui arriver... 
Le lendemain matin, le maire était de nouveau là, pourtant il lui avait bien dit qu'il devait partir dans deux jours. Edouard alla donc ouvrir la porte avec la boule au ventre. En réalité, le départ pour le front était bien le jour suivant mais ce jour-là il devait partir pour la caserne où il dormirait avant de prendre le train pour le vrai départ. ​Pour ne pas faire mauvaise impression, le jeune Edouard se dépêcha d'aller chercher ses affaires qui​ attendaient,​ posées sur son lit. Quand il revint à la porte, il avait l'air fier, très sûr de lui, mais le maire ressentait la peur du jeune homme. Durant le trajet, aucun mot ne fut ​échangé, l'ambiance était froide et tendue, sans compterqu' Edouard était déboussolé , il ne savait pas où il partait, il en avait même oublié qu'il était en mouvement. Le trajet avait duré plusieurs heures. Au moment où il descendit de la charrette  le maire n'eut même pas le temps de lui dire au revoir puisqu'il se fit immédiatement diriger vers les dortoirs, il n'eut pas le temps de voir qui était avec lui. On lui demanda de dormir au plus vite et il s’exécuta.
Le matin du grand départ, ils formèrent des rangs puis ils allèrent à la gare ​à pieds. Une fois arrivés, ils montèrent tous dans les wagons par ordre alphabétique. Rares étaient ceux qui parlaient comme si de rien n'était, la plupart se muèrent dans le silence car ils étaient rongés par la peur. Edouard Orliange, ce jeune homme tout aussi apeuré que les autres, rendit un grand service à tous ces jeunes : il prit son courage à deux mains et alla leur parler. Bien que terrifiés, les autres l'écoutèrent et le remercièrent et sur le moment, Orliange réalisa qu'il commençait​ à se faire une place au sein de la compagnie.
Que lui réserverait l'avenir? 
  
 ​     Une fois arrivé au front...

   Cela faisait quatre heures que j’étais en pleine bataille, les boches étaient en train d'attaquer, heureusement nous avions réagi assez vite et nous les avions repoussés. Autour de moi, je ne voyais rien à part des corps sans vie, voire certains à qui il manquait des membres...Je me sentais perdu.

  ​Je vis au loin quelqu'un qui courait vers moi, il portait l'uniforme d'un poilu, il avait le regard vide. Il semblait fatigué. En retournant vers les tranchées, je lui proposai une cigarette. Il accepta mais ne​ dit​ rien.

" - T'as une souffrante?

Il lui passa son paquet d'allumettes. Orliange décida donc de faire la conversation pour détendre l'atmosphère pourtant si dure.

 - C'est quoi ton nom?

- Soldat Gay, sixième section, lieutenant.

Un obus de mortier explosa prés d'eux au même moment, Orliange se précipita sur Gay pour le protéger, ils se retrouvèrent dans la boue, assourdis par le bruit de l'explosion et déboussolés. 

 -Merci lieutenant.

- C'est dur, hein? Des bruits de tirs, des grenades qui explosent, des soldats blessés tous les deux pas, des morts à ne plus pouvoir les compter. C'est dur pour tout le monde, mais je garde à l'esprit que nous nous battons pour la paix.

 - Oui, il faut les vaincre ces sales boches !"

Nous continuâmes à parler, même une fois dans la tranchée. Nous avions discuté pendant des heures, jusqu'à nous endormir dans un abri.

Le lendemain matin, on nous donna l'ordre de passer à l'attaque mais j'étais peu confiant car je n'avais pas mon acolyte. Je ne l'avais pas vu une seule fois, même au combat, mais comme par chance, les tirs ennemis s’arrêtèrent, alors nous décidâmes d'avancer le plus vite possible vers les tranchées ennemies. Mais ils nous arrêtèrent rapidement dans notre course, ils nous obligèrent à rebrousser chemin.

Une fois arrivés et assis, nous nous rendions compte que l'arrêt des tirs était suspect, nous pensions donc à une embuscade qu'ils nous auraient tendue. Heureusement que nous n'avions pas plus avancer. Je me ​reposai un instant lorsqu'un autre soldat vint me tenir le bras et m'entraîna vers l'infirmerie, et ce n'est qu'en arrivant devant qu'il m'expliqua la situation. D'après le peu que j'avais pu comprendre, la personne se trouvant dans l'infirmerie était Gaston,​  il avait été touché ​à l'épaule par une balle perdue. J'entrai dans la salle et je le vis se relever et remettre ses vêtements et je l'accompagnai jusqu'à sa paillasse. Je l'entendis gémir de douleur tout au long de la nuit mais ne fis pas de remarque. Le lendemain, il ne parut même pas affecté par ce qui lui était arrivé, il ne se plaignait d'aucune douleur particulière et se rendit au combat directement après s'être préparé avec toute la compagnie.

            

​               Cela faisait des jours que j'étais épuisé...

      Enfin... Enfin je pouvais me reposer. Toujours accompagné de Gaston comme depuis quelques semaines, je profitais de ce temps de repos comme je le pouvais. Heureusement, cette nuit je pouvais dormir, le front était calme. J'avais donc proposé à certains d'entre nous qui étaient les plus fatigués de se reposer. J'étais dans une sorte d'abri où il y avait quatre paillasses mais j'étais seul, je pouvais me permettre de rester calme et de réfléchir à tout comme à rien sans avoir la peur au ventre. Surtout que depuis quelques temps, j'étais devenu comme un exemple, tous les autres jeunes venaient me voir dès qu'ils avaient un problème. Ce rôle m'avait un peu fait oublier qu'au fond moi aussi j'étais effrayé, mais cette responsabilité me tenait vraiment à cœur alors je ne pensais même plus à moi. Mais, à la seconde où j'étais seul, je commençais à repenser à un tas de choses qui me faisaient du mal au fond et c'était avec ces pensées que je m'endormis...

Je me fis soudainement réveiller, j'eus tout d'abord peur qu'il se passe quelque chose à l'extérieur, mais le temps d'ouvrir les yeux je me rendis compte que c'était seulement Gaston qui venait se coucher, il avait fini son tour de surveillance et il pouvait dormir. Par automatisme, la fatigue me poussa à me rallonger et me tourner vers le mur pour me rendormir plus vite. A peine avais-je pu commencer à somnoler que Gaston me parla, il ne voulait pas que je dorme, je ne savais pas pourquoi mais je ne disais rien et lui répondais tout en restant un peu distant pour le laisser comprendre que je n'avais aucune envie de parler. Et en changeant de discussion, il en arriva à parler ​de son père. Bien sûr après cette évocation bien personnelle,  je me mis à penser au mien... Pris d'un sentiment étrange, comme un mélange de tristesse et d'énervement, je m'assis et baissai la tête pour l'écouter. En voyant mon expression, il commença à se douter de quelque chose et me demanda ce qui n'allait pas. Alors, dans un geste inconscient je me levai pour prendre de l'eau et il vit à ce moment-là mes yeux humides.

​Soudain, une forme d'inquiétude me prit : je tournai rapidement la tête. Je me dit surtout qu'il fallait que je garde mon rôle de protecteur, que je ne me laisse pas submerger par les émotions. Je revins donc m'asseoir sur ma couchette et bien que je ne le souhaitais pas plus que cela je me livrais à lui, sans retenu sans même faire attention à mes mots. Je lui racontai toute mon histoire, tout ce qui pouvait me troubler, y compris le vide que la mort de mon père avait laissé en moi...

​A ma grande surprise, il ne revint pas sur mes paroles et engagea le récit de sa propre vie et me délivra toutes ses souffrances. Il aborda aussi le sujet de son père qui, lui, était devenu fou avant sa mort, ce qui l'avait évidemment profondément  marqué.​ Et je fis de même, je n'osai pas revenir sur ses paroles. Nous nous étions livrés l'un à l'autre mais je lui fis jurer de ne plus aborder le sujet et de ne pas en parler aux autres, cela me dérangeait qu'ils puissent me considérer comme quelqu'un de faible et touché par tout ceci alors que je me devais de leur montrer l'exemple.

​Les jours suivants, nous restions proches, après cette nuit à discuter nous savions que nous pouvions avoir confiance l'un en l'autre. Au front, nous faisions notre possible pour rester proches  et nous protéger mutuellement. Un jour, Gaston eut un geste solidaire envers un soldat gravement blessé : pour l'aider à se remettre, il lui donna sa ration entière. Comme par une sorte d'habitude j'allai le voir pour partager la mienne, dans un soutien constant, ce jeune homme était devenu comme  un allié, voire un repère. Je l'avoue, cette idée m'étonnait, le fait que dans une telle situation, des relations de confiance comme celles-ci pouvaient se créer. Mais je m'y habituais au fur et à mesure des semaines.

Mais en une fraction de seconde, les  autres soldats me sortirent de mes pensées, ils couraient tout en criant. Soudain, un bruit sourd retentit au dessus de ma tête, il fallait encore aller se battre sans savoir si nous allions en revenir...

 Pendant les mois suivants, la complicité était toujours présente​, nous nous soutenions toujours autant, j'avais l'impression de le connaitre depuis toujours. Nous étions à présent à Perthes dans la Marne, le matin du 31 mai 1917. Ce jour-là, de loin, je vis Gaston qui combattait, j'allai donc le rejoindre :  

 "-Gaston, Gaston! "

Il n'eut qu'à peine le temps de se retourner lorsqu'un soldat le tua sur le coup. Je me précipitai vers lui et restai à ses cotés jusqu'au dernier moment. 

 ​A la mort de Gaston Gay, Edouard eut beaucoup de mal à se relever, il se sentit très mal pendant une longue période, ne mangeait plus, ne dormait plus, ne sortait plus et ne communiquait plus avec personne. Il broyait du noir,  mais ne se décourageait pas, il croyait toujours en son pays​ et voulait défendre sa liberté. Il eut à peine le temps de profiter de sa permission pour voir ses proches, qu'il dut repartir au front. Il arriva entre Soissons et Reims là où allait se déroulait la Bataille de l'Aisne.

Edouard se rendit donc au front, il était plus décidé que jamais à se battre pour sa patrie, il devait rester fort pour ces hommes.Jusqu'à présent, il n'avait toujours été qu'un sous lieutenant ou un lieutenant temporaire et sept mois après la mort de Gaston, il fut promu lieutenant à titre définitif le 24 décembre 1917. Lors de ses nombreuses batailles il fut cité à l'ordre de la brigade ou de l'armée : " A dirigé le 17 mai 1916, avec le plus grand sang-froid les travaux de déblaiement et de reconstruction d'un de nos barrages bouleversé par le bombardement, mettant lui-même la main à la tâche pour entrainer ses hommes, alors que sa section était soumise au feu très rapproché de l'ennemi. A conduit ce travail délicat et dangereux avec méthode et toute la célébrité désirable ".  ​

Le 13 Avril 1918, Orliange mourut tué par l'ennemi, en voulant  repousser une attaque allemande au Mont-Renaud dans l'Oise."Le 57e RI combat depuis de nombreux jours sur le Mont-Renaud, tenant le château, progressant lentement. Les Allemands lancent une violente offensive le 13 Avril. Le régiment tient, sauf sur un secteur du parc du château qu'il faut reprendre : contre-attaques superbes, héroïques, au cours desquelles le lieutenant Orliange trouve une mort Glorieuse."

​Edouard Orliange n'a jamais cessé de se battre, il fut qualifié à de nombreuses reprises de héros contre l'opposant, il s'est toujours battu pour la liberté et pour ses hommes, jusqu'à la fin. 

                                                                                                                                                                                 Antoine G.

                                                                                  Andréa F.