Le recueil des souvenirs 

(oeuvre fictive)

 

La nuit était tombée, la pluie s'abattait sur les tranchées et formait des flaques de boue. On pouvait entendre venant de l'autre côté, les cris d'agonie des soldats. Bridonneau avait reçu l'ordre de sortir de ce trou boueux afin d'effectuer une mission de repérage. Il prit en main son fusil et  sortit : il se mit à plat ventre et commença à ramper afin d’être le plus discret possible. Plus il s'approchait du camp adverse, plus un sentiment mystérieux s'installait en lui. Un mot vint remplacer le courage dans sa tête, ce mot était PEUR : il était effrayé.

Un bruit le fit sortir de ses pensées, un son familier, il l'avait déjà entendu  auparavant, le bruit d'une branche qui se casse sous le poids d'un pas décidé. Quelqu’un  approchait, il se leva pour mieux distinguer la source de ce craquement. Quand soudain, une détonation sourde retentit, une douleur lui déchira l'épaule. Une douleur qu'il ne connaissait pas encore. Il se releva et courut de toutesses forces le plus vite , le plus loin possible. Il arriva rapidement dans le fossé. Une gamelle était posée  dans une petite grotte à l’abri de la pluie sur un coffre en bois. Cette gamelle lui était destinée : dedans quelques haricots  étaient  éparpillés, ainsi que des morceaux de viande et de miche de pain. Une gourde était posée sur le sol . Mais il n'avait pas faim, il avait mal, il ressentait une douleur atroce à son épaule, elle lui remontait dans la nuque. Personne ne se rendit compte de son état et c'est ce qu'il voulait; pouvoir se battre aux côtés des soldats français.  Pour continuer à masquer sa douleur il mangea, se disant que la nourriture le ferait penser à autre chose. Penser au moment où le soir, étant encore enfant sa mère lui cuisinait  des repas chauds et délicieux à la fois. Le soir en revenant de l'école, en faisant ses devoirs il la regardait préparer le souper , son regard se posait souvent sur ses mains si délicates et douces  qui tenaient si fermement le couteau.  La lame de celui-ci passait d’ailleurs très près de ses doigts sans jamais les  couper. Il se rappelait de l’odeur que prenait la pièce, l’odeur alléchante du gâteau cuit...
 La douleur lui faisant trop mal, il demanda la permission du lieutenant pour se rendre au poste de l'infirmerie, prétextant une migraine infernale. Arrivé à la troisième ligne, il s' évanouit. Quand il se réveilla, la douleur était toujours là. Pour calmer la souffrance, il repensait  aux poèmes qu'il avait lus jadis, il se rappelait de ces sensations que l 'on retrouve quand notre regard se promène sur les pages un peu jaunies des recueils. Cela lui manquait, il décida donc de réciter quelques vers d' un poème de Paul Verlaine dont il avait un vague souvenir. Il jeta un rapide coup d’œil à sa blessure : dessus, un linge blanc imbibé d’alcool. Il le souleva, ce qu'il découvrit le surprit. La blessure avait été lavée, puis désinfectée, puis suturée et à nouveau désinfectée.  Il chercha du regard l'homme qui l'avait soigné. Il fut surpris de voir que Jean Heyraud se tenait là, devant lui. Bridonneau se rappelait, quand au collège, leur professeur de lettres Monsieur Audoin leur avait fait apprendre un poème. Un poème de Verlaine il s'en rappelait bien:                  
                                                                                                             
Les sanglots longs                                              
Des violons   
De l'automne
Blessent mon cœur
D'une langueur
Monotone.
Tout suffocant
Et blême, quand,
Sonne l'heure...
Heyraud sourit et fit un signe de tête, il s'en souvenait aussi :
Je me souviens 
Des jours anciens
Et je pleure.
Et je m'en vais 
Au vent mauvais
Qui m'emporte
Deçà, Delà,
Pareil à la feuille morte. 
 
Tous deux rirent, ce poème ils s'en souvenaient. Heyraud  sortit de la poche de sa blouse blanche, un petit carnet marron et le montra à Bridonneau qui avait le même dans son sac : c'était le recueil de poèmes. Heyraud dit à Bridonneau de ne pas s'inquiéter et qu' il arriverait à dissimuler facilement sa blessure.  Cette phrase il l'avait déjà entendue auparavant quand Heyraud  lui avait appris que la vision de son œil droit deviendrait de plus en plus mauvaise et que bientôt il ne verrait plus du tout de cet œil. Bridonneau s'était donc convaincu que s'il perdait la vue, il perdrait aussi la vie, il s'était convaincu qu'il allait mourir.  Il se souvint de l'écriture que Heyraud avait pris pour falsifier ses tests afin de lui permettre d'avoir le privilège de mourir à la guerre. Il l'aida à se relever, à sa grande surprise, la blessure ne lui faisait plus mal. Les jours, les semaines et les mois passaient, mais Heyraud dut partir pour des raisons professionnelles. Le temps pour Bridonneau paraissait donc beaucoup plu long et de moins en moins supportable. Après des semaines en première ligne, les soldats furent repliés dans une ferme afin de pouvoir se reposer avant de repartir en première ligne. Et ce fut donc à la lumière de la bougie, assis dans un fauteuil quelque peu délabré, une feuille posée sur un petit bureau et un crayon à la main que Bridonneau commença à écrire :
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                                                                                          20 février 1915
 
Mon cher ami, 
Je vous écris  pour vous donner de mes nouvelles, voilà longtemps que nous n'avions pas conversé et cela commençait à me manquer. Je dois, même si je l'ai déjà fait, débuter cette lettre par mes remerciements les plus sincères. J'espère de tout cœur que  vous vous en sortez bien, de votre côté. J'ai appris que vous aviez été appelé à l'hôpital temporaire numéro 29, il me semble qu'il est dans le bâtiment du collège où nous avons étudié. Cela doit être étrange de devenir le "maître des lieux" d'un endroit où vous avez passé vos années d'études. Je ne suis, pour ma part, plus dans les tranchées. On nous a mis en repos pour une semaine. J'en ai donc profité pour écrire à mes parents, et à vous, qui m'avez soutenu malgré vos devoirs en tant que médecin. La maladie de mon œil droit s'aggrave de jour en jour et certaines fois, j'ai du mal à distinguer mon pain de mes haricots. Pour tirer, je dois fermer l’œil afin de ne pas rater ma cible. Mes parents ne savent toujours rien, je voudrais leur annoncer quand je rentrerai du front, en ayant bravé les épreuves qui auront fait de moi un véritable soldat.
Pour l'instant, ma blessure à l'épaule ne s'arrange pas, mais elle ne s'aggrave pas non plus, cela me donne de l'espoir et du courage pour la suite. 
Un de mes compagnons d'armes, s'est fait tuer hier. Un éclat de grenade en pleine tête. C'est après cet affront que nous nous sommes repliés dans une ferme. Ici, nous sommes plus à l'abri que n'importe quel soldat, et nous en sommes heureux, en tout cas, nous sommes aussi heureux qu'un soldat puisse l'être. L'esprit de certains de mes compagnons part, de jour en jour, en fumée et, je prie pour que le mien reste bien intact. 
Nous sommes tous exténués, par la froideur de cet hiver et par l'angoisse qui nous ronge et nous empêche de dormir. Le sol est tellement inconfortable et froid que je ne sens plus mon dos. L'avantage de cette température est que mon épaule est indolore. Je m'efforce toujours de trouver un point positif pour relativiser, ne serait-ce qu'une seconde. Certaines fois, je me rappelle les parfums de mon enfance, je récite, dans ma tête, les vers de certains poèmes dont j'ai un vague souvenir, surtout ceux qui proviennent de notre recueil. D'autres fois, je me répète à voix haute que tout finira bien, jusqu'à perdre le sens de ces mots. 
 Nous repartons en première ligne dans cinq jours, d'ici là, j'espère avoir le temps de dormir un peu. Si vous voyez mes parents, nous nous en tenons à ce que nous avons dit avant votre départ : je vais bien, j'aide les médecins à l'hôpital dans un secteur où l'on soigne la pneumococcie, où nul ne doit entrer hormis les patients et les soignants qui doivent être bien équipés contre cette maladie très contagieuse et qui commence à faire des ravages. J'espère encore une fois que vous allez bien et qu'il ne vous arrivera rien.  "Je me souviens, des jours anciens..."   
A très bientôt, votre ami dévoué,
                                                                      Marc Bridonneau
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  Bridonneau se réveilla trempé de sueur : il avait encore fait un mauvais rêve, toujours ce même cauchemar, lui, en dehors de la tranchée avec un autre soldat, puis soudain un cri, son compagnon qui se jette sur lui, et,  quand Bridonneau se relève, son ami est à terre, la tête défigurée, dans une mare de sang, son buste séparé de ses jambes, qui se trouvent quelques mètres plus loin. Bridonneau restant là sans pouvoir bouger, son compagnon de misère lui ayant sauvé la vie.
Ce rêve, il en connaissait les moindres détails, puisqu’il le refaisait toutes les nuits. Ce cauchemar était réel, il l'avait déjà vécu, son ami l’avait sauvé et avait reçu un obus en pleine tête. Il l'avait vu mourir sous ses yeux, sans rien pouvoir faire, il était resté là à genoux, se demandant pourquoi cet homme lui avait sauvé la vie, ils ne se connaissaient pas plus que cela. Mais c'est ce soir, en se réveillant brusquement, que Bridonneau eut la réponse : cet homme avait fait preuve d'un courage  inexplicable.
 Il se leva tout tremblotant, il devait écrire à ses parents, les savoir en bonne santé lui ferait le plus grand bien. Mais il devrait encore leur mentir. Dans sa tête, il rassembla ses quelques mensonges. Il avait besoin de lire l'écriture de son père et de sa mère qu'il n'avait pas vus  depuis sa dernière lettre qui datait du début de la guerre, dans laquelle le jeune homme racontait une journée de travail aux côtés d'un médecin. C'était sur le même bureau, dans le même fauteuil si confortable, mais un petit peu abîmé au niveau des accoudoirs, qu'il commença à écrire à ses parents :  
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                                                                                                                                                                                                              21 février 1915
 Chère mère, cher père 
Je vous écris aujourd'hui pour vous donner de mes nouvelles, j'ai conscience que le temps sans un renseignement sur ma santé peut vous paraître long, et je m'en excuse, mais je ne peux faire autrement. Cela fera bientôt deux mois que je suis parti aider les médecins qui ont besoin de main d’œuvre afin de contrôler une maladie encore inconnue des médecins, qu'ils appellent "pneumococcie"  qui se propage de plus en plus dans nos villages. Je suis dans l'hôpital temporaire numéro vingt-neuf, qui n'est autre que l'école où j'ai passé toute mon enfance et mon adolescence. Ici, il y a aussi Jean Heyraud, qui a été dans ma classe, vous souvenez-vous? nous avions l'habitude de rentrer ensemble, et, vous passiez du temps à nous faire réciter le poème Chanson d'automne, de Verlaine, que nous n'arrivions pas à garder en mémoire. Il n'est pas dans le même secteur que moi, mais nous arrivons à nous croiser quelques fois, et à nous échanger quelques mots en somme des plus anodins. Heyraud est un homme bien, c'est un des médecins les plus respectés ici, à l'hôpital.
Vous me manquez beaucoup, je sais que vous pouvez penser que j'ai pris la mauvaise décision en partant sans rien vous dire, mais je craignais que vous n'ayez pas la force de me laisser m'en aller. Et puis, je me sens à ma place ici, je me sens enfin utile et au service d'une cause qui me tient à cœur et qui, il me semble, une très bonne cause. Je n'ai pas attrapé cette maladie infernale, c'est tant mieux, je veux sortir de ce lieu en héros. J'aurai peut être sauvé des vies, et je pourrai revenir vous voir, sain et sauf. Ne doutez pas, je reviendrai, peut être un peu abîmé mais je reviendrai pour vous. Je crois en Dieu qui me protégera : je veux mourir en bon chrétien et en bon Français face à l'ennemi. Le temps ici passe très lentement, nous avons froid, et faim malgré les rations de nourritures toujours fournies. Je ne veux même pas imaginer ce que ressentent nos patients. De votre côté, j'espère que tout va pour le mieux, que vous ne manquez de rien. Si un jour vous passez par l'hôpital temporaire numéro 29, vous ne pourrez pas me voir, mais si vous voyez Jean Heyraud, dîtes lui bonjour, il me le transmettra. 
 Je vous souhaite de tout cœur de continuer à vivre sans aucune inquiétude pour moi, car, je vous le répète, je vais bien, nous sommes tous bien traités. Je n'ai pas pu être présent pour Noël, mais vous avez occupé mes pensées pour ce jour si particulier.
 A très bientôt, j'en suis sûr, votre fils,
             
                                                                                                                                    Marc Bridonneau.
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    Heyraud soignait un soldat qui s'était coincé la jambe dans un barbelé, qui protégeait la tranchée, en fuyant, et dont les points de sutures s'étaient malencontreusement décousus. Le soldat raconta à son médecin que d'autres de ses compagnons s'étaient également coincés dans ses files entortillés mais n'étaient pas parvenu à s'en dégager et un obus leur était tombé dessus. Une large entaille traversait la totalité de sa jambe. Le médecin venait juste de finir la suture quand  un homme entra dans la pièce et réclama Mr Heyraud, l'homme était grand et barbu. Il portait un habit noir et une sacoche un peu usée, il tendit au médecin une lettre. L'homme s’excusa de ce retard mais le mauvais temps l'avait beaucoup retardé et de plus les lettres avaient tardé à arriver. La carte qu'il reçut était salie par la terre. Il reconnut tout de suite l'écriture, c'était une lettre de son ami Bridonneau. Heyraud la glissa dans la poche de sa blouse. Après sa journée de travail, il s'isola dans la salle ou avaient été placés  les bureaux qui encombraient trop les salles. Il s'assit devant une de ses petites tables, ouvrit l’enveloppe, et parcourut la lettre des yeux, puis la relut attentivement. Il prit une feuille et un crayon, il se rendit rapidement compte que son crayon laissait des traces noires sur ses mains et quand il prit la feuille de papier entre ses doigts, une empreinte s'était dessinée. Il prit donc une nouvelle feuille et répondit à son ami de son écriture la plus soignée :
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                                                                                             20 mars 1915                                                                  
Cher ami, 

   C'est avec un immense plaisir que j'ai lu votre lettre, vous savoir en bonne santé me fait le plus grand bien. Je vous réponds et m’excuse de ne pas vous avoir répondu plus tôt mais votre lettre ne m'est parvenue que hier. J'en  profite pour vous dire que vous n'avez point besoin de me remercier car les preuves de votre amitié m'ont été montrées à plusieurs reprises et je vous dis de ne point vous inquiéter. Votre secret est, et sera à jamais bien gardé. Vos parents ne se doutent de rien, en effet, ils sont très fiers de vous, de leur enfant qui travaille aux côtés d'un médecin et qui sauve de nombreuses vies chaque jour, du moins, c'est ce qu'ils pensent. Sur mon lieu de travail, les souvenirs me remontent en mémoire, les moments où vous et moi, courrions dans les couloirs pour ne pas arriver en retard. Dans une salle, les bureaux ont été entassés. Je me rends souvent là-bas, je regarde d'un air rêveur, les taches d'encres imprégnées dans le bois. Et parfois c'est en ce lieu  et sur ces tables, que je réponds à votre dernière lettre. Plus les jours passent en compagnie des malades et des blessés, plus ces pauvres hommes me content l'histoire de leur vie ; tellement idéale avant d’être appelés au front, des vies toutes similaires les unes des autres, que j'ai envie d'y croire, j'ai envie de croire qu'après la guerre tout redeviendra comme avant  : on retournera dans notre village, on retrouvera notre famille, notre métier. Parfois je mens à mes patients pour que leurs dernières pensées soient belles, que leur mort soit paisible. Vous, soldat, vous voyez tellement la mort de près qu'elle ne vous fait même plus peur. Durant le premier mois, dans l’hôpital temporaire numéro 29, je pleurai tous les soirs en secret car je n'avais pas réussi à sauver la vie d'un jeune français. Mais de nos jours de plus en plus d'hommes meurent et je ressens toujours cette culpabilité en moi. Ce qui me permet de tenir, c'est notre amitié, notre correspondance régulière et bien sûr ma famille. Je lis souvent le recueil de poèmes et il reste toujours dans ma blouse de travail. A l'intérieur, j'ai rassemblé et j'ai glissé vos lettres. Surveillez et prenez soin de votre blessure, mais ça me réconforte d'apprendre qu'elle est devenue indolore. Je suis avec vous de tout cœur et vous soutiens et j'espère que mes lettres vous réconfortent aussi. Je vous souhaite un bon courage et j'espère que vous allez bien. Donnez moi régulièrement de vos nouvelles en espérant qu'elles soient bonnes."Et je pleure Et je m'en vais..."

  Dans l'attente de votre réponse, votre ami des plus sincères

Jean Heyraud

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  Les lettres que Bridonneau et Heyraud s'envoyaient, étaient de plus en plus régulières et amicales. En effet, chacun savait ce que l'autre avait besoin d'entendre et comment faire pour effacer la tristesse, le froid, et la peur, au moins pendant quelques minutes, très précieuses. Ils s'écrivaient pour se donner des nouvelles mais surtout pour se remonter mutuellement le moral.                                                                                                                     Cependant, un jour, Bridonneau qui avait jusque là, l'espoir de pouvoir recommencer une vie normale et paisible, en compagnie de sa famille, sut qu'il ne pourrait y parvenir. Et, bien loin du confort qu'il avait connu à la ferme dans ce vieux fauteuil, à l'intérieur de la tranchée sale et boueuse il s'assit à même le sol au sein d'un mélange à peine distinguable, de boue et de sang, mais, il était au moins à l'abrit du vent. Il chercha pendant quelques instants ses mots pour qu'il n'y ait aucune rature car il ne disposait cette fois, que d'une feuille de papier, il voulait que cette lettre soit la plus soignée et que son écriture soit la plus lisible possible. Et, c'est en grellotant un peu, et à la lueur d'une bougie où s'écoulait une flamme mince, qu'il écrivit.  
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                                                                                                18 juin 1915
 Mon très cher et loyal ami, 
Je vous écris malheureusement pour vous annoncer une triste nouvelle. Mon épaule ne réagit plus. Elle se contente de bouger au rythme de mes mouvements lents et incertains, j'ai même l’impression que je ne suis plus maître de mon corps. Mon œil non plus ne se porte pas pour le mieux. Et je le sais, je le sens, je n'en ai plus pour très longtemps. Je vais mourir à la guerre, comme je le voulais, mais cette pensée me fait peur, et je redoute fortement le moment où la mort va frapper. J'avais espoir, tout au fond de moi, de voir à nouveau mes parents, au moins une dernière fois avant de partir pour de bon. J'en étais intimement convaincu. Mais je n'aurais pas ce privilège. C'est pourquoi je fait appel à vous, Jean, pour vous demander une dernière volonté, qui m'est très chère. Je glisse, dans l'enveloppe de cette lettre, une autre destinée à mes parents. J'aimerai que vous leur donniez en main propre, afin qu'ils me voient à travers vous, et qu'ils puissent avoir un dernier souvenir de moi. Dans cette lettre, je leur raconte tout, toute la vérité. Je leur parle de la guerre et de tout ce que j'ai fait pour en arriver là. A l'heure où je vous écris, je n'ai pas encore rédigé cette lettre. Je ne sais pas comment la commencer, et pourtant, ma motivation est bien présente. Je veux l'écrire le plus rapidement possible avant que mon deuxième œil soit, lui aussi éteint. Quand j'aurai terminé de leur raconter toute la vérité. Je me laisserai tuer par l'ennemi. Je ne veux pas que le destin s'en prenne à moi à n'importe quel moment. Sachant que je vais mourir dans un mois, peut être plus, je veux pouvoir décider du moment auquel je perdrai la vie. Pour combattre ma peur. Mes dernières pensées iront à mes parents, mais je penserai aussi à vous. A vous qui m'avez tellement soutenu, même à l'encontre des règles les plus fondamentales de votre métier. A vous qui avez su m'épauler, me réconforter même à distance, par une simple lettre, à vous qui avez toujours été présent pour moi. Et tout simplement à vous, à toi, qui as été mon ami le plus cher.

Et je m'en vais
Au vent mauvais 
qui m'emporte 
Deçà, delà
Pareille à la 
Feuille morte

Adieu                                                      Marc Bridonneau
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 Quelques ratures étaient présentes sur le manuscrit et certains mots étaient difficiles à déchiffrer. Une deuxième lettre, reliée à la première était déposée dans l'enveloppe salie par le temps et la crasse. Dessus, une petite fleur qui semblait avoir été faite par un enfant était simplement dessinée. Heyraud, l'air triste, ne la lue pas. Et, le lendemain à la première heure. Le jeune homme, ayant désobéi aux ordres, se trouvait sur le seuil de la porte de la famille Bridonneau. Un petit bouquet des rares fleurs qu'il avait pu trouver sur le chemin, et la lettre de leur fils dans la main. Il se serait volontiers enfui en courant, par peur de voir la tristesse dans les yeux des parents de son ami. Mais pour lui, pour Marc, il resta stoïque et toqua lentement à la porte. Sachant parfaitement qu'après cette visite, la vie de cette famille, tout comme la sienne, serait à jamais différente. La porte s'ouvrit enfin sur les deux parents de Marc Bridonneau,qui firent entrer l'homme qui changea à jamais le cours de leur vie.  
Une demi heure plus tard, le médecin sortait, en essayant d'être digne, de cette maison vidée de tout espoir.  Sur la lettre pour ses parents, Bridonneau avait écrit ces quelques mots : 
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Mes cher parents,  
Je ne sais comment commencer cette lettre, j'imagine qu'il faudrait que je commence avec une formule de politesse bien choisie mais vous savez que je n'aime pas beaucoup ces choses là. J'ignore ce que mon ami Jean Heyraud vous a expliqué, il a dû vous dire que malheureusement je ne faisais plus parti de ce monde. Cela a dû vous étonner et vous laisser sans voix, je le sais bien. C'est pourquoi je vous écris ceci, en espérant que vous ne m'en teniez pas rigueur  et que je serai pour vous, toujours votre fils.                                                                                                                                                   Il y a de cela quelques années, j'ai eu une douleur lancinante à l’œil, après avoir passé des examens, sans vous le dire, j'ai découvert une infection au niveau de la pupille qui ne s'arrangerait pas avec le temps. Les mois ont passé, et la guerre s'est installée rapidement. Je ne savais pas quoi faire de ma vie, quel métier effectuer, et je savais surtout qu'avec la guerre, aucun métier ne durerait bien longtemps. Alors une idée s'est formée dans mon esprit . Tout d'abord une simple hypothèse qui s'effaçait d'un simple geste, puis une idée qui perdure et qui revient sans cesse. Et cette idée était devenue conviction. Mais, je n'ignorais pas que pour entrer dans l'armée, il fallait faire des test de santé, et qu'avec mon œil, je serais immédiatement refusé. J'avais donc fait appel à Jean qui avait  falsifié mes résultats et m'avait permis d'avoir le privilège de  pouvoir me battre pour mon pays.
Je vous ai peut être déçu en vous disant que je travaillai pour sauver des vies, mais je ne voulais pas que vous vous inquiétiez pour moi. 
Au moment auquel je vous écris je sais que je vais mourir. Je suis blessé à l'épaule et cela s’aggrave de jour en jour. Je n'en ai plus pour très longtemps. Je voulais que vous sachiez que je pensais à vous et que j'ai fais tout cela pour que vous soyez fier de votre unique enfant. Au lieu de cela je n'ai pas réussi à accomplir mon devoir ; en effet, je devais mourir pour ma patrie, ou revenir en héros. Je m'en veux terriblement. J'espère que vous comprendrez tout de même mes choix et que vous arriverez à rester heureux comme vous l’étiez ,mais  sans moi. Faites le pour votre fils. 
Adieu,  
Je vous aime, votre fils, Marc Bridonneau.   
 
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Lucya P et Leïla T