La lettre secrète

(Oeuvre fictive)

      Après le décès de mon père à la guerre, ma mère avait décidé de quitter le village car c'était le lieu où elle avait vécu avec lui pendant quelques années. Elle avait donc pris la décision, lors d'une journée ensoleillée, de commencer à ranger les affaires que mon père avait déposées avant de partir à la guerre. Cela m'attristait beaucoup de faire cela. 

     Il était parti à la guerre lorsque j'étais jeune, je ressentais constamment le manque de mon papa. J'avais peur d'être éloigné de mon père. Je garde de vagues souvenirs de lui avec moi, en plus de ceux que me raconte souvent ma mère. Elle et moi nous ne parlions jamais de la raison pour laquelle il était mort, j'avais peur que cela lui remémore des souvenirs douloureux. Mon père et moi, étions distants et n'avions pas de conversation sur la vie que nous vivions mais plus sur notre avenir. La relation qu'eurent mes parents était compliquée, car mon père avec ce départ avait mis fin aux projets de ma mère. Ils étaient différents dans leur façon d'agir mais s'aimaient, s'observaient avec un regard attendrissant. Le rêve de ma mère était de vivre sa vie dans le pays où elle était née, le Portugal, à l'époque elle avait déjà suivi ses parents pour venir en France. De temps à autre j'imagine que si je m'étais confié à mon père et si j'avais mis cette pudeur de côté sur ce que je ressentais, j'aurais pu apprendre à le connaître et partager avec lui plus d'instants particuliers... ​

      En rangeant, le téléphone avait sonné. Elle s’éclipsa pour aller répondre. Je ne lui demandai pas, à ce moment-là, qui appelait. ​Pendant ce temps, j'observais un à un les vêtements et accessoires. ​

​Tout à coup, je remarquai qu'elle baissa le ton comme s'il ne fallait pas que j'entende ce qu'elle disait ou que je sache qui c'était. 

    Quelques instants plus tard, j'avais commencé à m'impatienter mais aussi à m'inquiéter : ma mère n'avait toujours pas achevé sa conversation au téléphone, j'avais donc trié tous les vêtements, avec nostalgie, les avais mis sur le lit et les avais pliés pour ensuite les mettre dans un sac et les emporter plus facilement. De la poche d'une des vestes dépassait un bout de feuille, je tirai dessus pour voir ce que cela pouvait être. J'avais déplié celle-ci sans l'autorisation de ma mère, elle qui m'avait toujours appris à ne pas lui mentir... C'était une lettre bien écrite et signée d'un certain "Blanchon". Je n'hésitai pas à commencer à la lire. Je n'ordonnai donc plus les affaires. A côté, ma  mère haussait de plus en plus le ton; j'avais rapidement mis la lettre dans la poche de ma chemise pour ne pas qu'elle la remarque. J'avais peur que mon inquiétude se voie sur mon visage ou que je surjoue à son retour cette forme d'indifférence. Je ne savais plus comment réagir.

​      Elle entra, j'avais un sourire forcé qui se lisait probablement sur mon visage. Je ne savais pas si elle était au courant de cette lettre, si elle, auparavant, avait déjà parlé avec mon père de ce Blanchon. Je n'osais pas la regarder dans les yeux, j'avais quand même enfreint ses ordres, ce que je n'avais encore jamais fait. Elle retourna sans rien dire vers les cartons pour continuer ce que nous faisions avant l'appel. Contrairement à elle, je quittai cette pièce avec l'excuse d'aller me reposer. En entrant, je refermai immédiatement la porte pour être bien sûr qu'elle ne voie pas ce que j'étais en train de faire. Je m'étais assis sur le rebord de ma chaise de bureau et avais repris cette lettre depuis le début. J'étais excité à l'idée de savoir ce que ce fameux Blanchon pouvait bien dire à mon père, enfin si la lettre lui était bien adressée...

​      Je lisais et au fur et à mesure je comprenais qui était mon père pour lui. Mais ce que je comprenais pas à l'inverse c'était pourquoi mon père n' en avait jamais parlé et pourquoi Blanchon lui donnait tous ces encouragements et ces conseils au sujet de notre famille. Cette lettre contenait des passages avec beaucoup de mots amicaux et forts qui m'avaient, moi-même, bouleversé, et des souvenirs précis étaient racontés. La lettre se terminait par :"je ne t'oublierai pas.". Avec ces mots je compris que Blanchon connaissait très bien mon père contrairement à ce que je pensais. J'étais donc perdu, totalement persuadé que mon père nous avait caché quelque chose. Il me fallait absolument rencontrer Blanchon, en espérant à ce moment-là, qu'il soit encore en vie. Mais dans un premier temps, je devais protéger ma mère en passant sous silence cette découverte. 

​      Le lendemain en allant chercher le pain, j'avais toujours la lettre sur moi, je m'arrêtai à la poste de mon village pour en apprendre davantage sur ce bout de papier. J'étais entré, puis, je m' adressai à l'accueil. J'avais expliqué l'objet de ma requête . Dans mon village on connaissait mon père, chaque personne qu'il rencontrait dans la rue, il lui adressait un mot. La femme qui s'occupait de moi me demanda de lui présenter la lettre pour qu'elle puisse m'aider. J'attendais quelques instants, le temps qu'elle eût les réponses à mes questions et si possible l'adresse de ce Blanchon. J'observai toutes les annonces sur le village qui étaient affichées sur un mur à côté de moi.

     La femme revint avec les informations. Elle avait commencé par ​dévoiler le prénom de Blanchon, Gustave, elle l'avait retrouvé grâce à ce carnet qui reprend les noms de chaque soldat déjà venu à Chillac, la commune que j'habitais. Ensuite, elle me dit que cette lettre, ne venait pas de très loin, une ville proche donc, il s'agissait de Barbezieux. J'avais retenu tout ce qu'elle m'avait dit à propos de lui, je l'avais remercié et avais quitté le bâtiment. J'avais repris mon vélo et poursuivi ma route vers la boulangerie. Quand j'étais arrivé chez moi, je posai les commissions sur la table et partis dans ma chambre pour m'isoler et commencer à écrire la lettre qui me permettrait de le rencontrer, je voulais en savoir plus sur le décès de mon père et aussi le questionner sur ce qu'il avait écrit dans cette lettre, il était normal pour moi de savoir. Je commençai dans cette lettre par me présenter, par expliquer pourquoi je lui écrivais et pour finir par évoquer l'éventuelle rencontre. Je la mis dans un des tiroirs de mon bureau pour ne pas la perdre, elle me tenait à cœur.

​      Le lendemain, je retournai à la poste et cette même femme, qui s'était occupée de moi la veille, me demanda si elle pouvait m'apporter son aide. Je lui donnai ma lettre et lui demandai de l'envoyer à l'adresse de Gustave Blanchon. Elle le fit et me dit d'attendre une réponse, si il devait y en avoir une. 

   Plus les jours passaient, plus j'avais l'impression que jamais l'ami de mon père n'allait m'écrire. Chaque jour j'allais à la boîte aux lettres. Un matin, un courrier m'était adressé, je l'ouvris dehors aussitôt sorti de cette boîte. Je vis que c'était bien lui, Blanchon et qu'il acceptait de me rencontrer. Il m'avait donné rendez-vous : une adresse avec une heure, c'était un petit jardin public dans Barbezieux.  Je me demandai bien ce que j'allais pouvoir dire à ma mère pour m'y rendre sans qu'elle ne s’inquiète pour moi. Alors je lui dit que j'allais retrouver un ami mais que je ne savais pas à quelle heure j'allais rentrer. Elle accepta sans plus de questions. Je pris la lettre avec moi et commençai à rouler. J'avais une appréhension au sujet de cette rencontre, malgré ma détermination, je ne connaissais pas cet homme j'avais lu seulement sa lettre pour mon père.J'avais peur, aussi, de ce qu'il pouvait m'apprendre...

    J'attendais à l'entrée du parc. Un homme, après quelques minutes d'attente, s'avança vers moi. C'était lui, j'avais enfin la personne qui pouvait apporter des réponses à mes questions, je m'approchai et me présentai à lui. Il fit de même. Nous eûmes ensuite une discussion au sujet de mon père, bien plus riche d'enseignements que celles que je pouvais avoir avec ma mère. Il parla ensuite de souffrances, de courage et de force, un tableau complet de l'homme que j'appelais mon père. 

​      A ce moment de la discussion je me sentis mal à l'aise, Gustave Blanchon était visiblement fier de son camarade. Je m'attendais à ce qu'il confirme ce que je pensais, que mon père était décédé d'une blessure de guerre. Mais ce n'était pas le cas, ce qu'il m'annonça me surprit davantage, car jamais je ne l'avais envisagé. Mon père n'était donc pas mort au combat, mais plus tardivement d'une maladie à l'hôpital de Bordeaux, à trente trois ans. C'était d'ailleurs à cette occasion que Blanchon l'avait rencontré. Surpris de cette nouvelle et peiné aussi de découvrir qu'il avait souffert longtemps, je quittai cette homme, un peu apaisé d'en connaître davantage sur l'homme qui m'avait vu naître. Sur le chemin du retour, mes larmes coulaient seules. Je ne m'étais pas rendu compte de ce qu'il avait vécu et enduré dans sa courte vie. 

​      Je redoutais maintenant le moment où j'allais devoir en toucher deux mots à ma mère. J'avais peur de la blesser en lui apprenant la situation et le sort de l'homme qui avait partagé sa vie, et la mienne. Mais elle m'expliqua à son tour, qu'elle avait tout appris quelques années après, car elle aussi avait rencontré Gustave Blanchon. Il avait fait la démarche de la contacter pour tout lui expliquer à la demande d'ailleurs de mon père. Il ne voulait pas laisser l'image faussée de ce héros mort au combat. Il nous devait la vérité et permit, sans l'imaginer, ainsi à ma mère et à moi de nous retrouver.

Alexia P