La caverne du dragon
(compte-rendu par Shanna D.)
La première Guerre Mondiale est présente dans nombre de manuels d'histoire et est majoritairement présente dans le programme de première.Il nous est expliqué les causes et les conséquences de cette guerre et l'accent est mis sur son atrocité. Cependant, même si nous sommes touchés et effrayés qu'une telle chose eut été possible, les émotions que nous ressentons vis-à-vis de cet événement majeur de l'Histoire lors de l'enseignement scolaire nous paraissent bien dérisoires lorsque nous arrivons sur les lieux des batailles et que les choses prennent un aspect plus réel : ce ne sont plus des images mais bien de véritables paysages marqués par la guerre que nous foulons, cela fait le même effet que lorsque l'on passe de la théorie à la pratique : tout paraît plus compliqué, plus difficile. On se heurte tout à coup à la réalité en ayant toutefois conscience que l'on ne pourra qu'effleurer cette dernière, la violence de la guerre étant insaisissable tant son ampleur a pris des proportions inimaginables sur tous les points.
Durant ce voyage, un lieu m'a particulièrement marquée. Il s'agit de la Caverne de la Creute, également appelée Caverne du Dragon. Celle-ci se trouve à Oulches, tout près du Plateau de Californie ainsi que du chemin des Dames. Un musée du même nom lui est maintenant dédié, juste au-dessus de la caverne, qui était une ancienne carrière. Ce plateau a été le « théâtre », en 1917, d‘une des plus importantes batailles de la première Guerre Mondiale. La caverne a été tiraillée entre les camps Allemands et Français pendant toute cette guerre, mais encore plus durant l'année 1917. En effet, les Allemands avaient pris d’assaut le point le plus haut : le Plateau de Californie, afin d’avoir une position stratégique. Ils tenaient cette dernière, réduisant à néant les tentatives des Français pour percer les lignes ennemies. Ainsi, les Allemands possédaient les hauteurs, mais également la Caverne du Dragon, située en dessous du plateau sur lequel ils se trouvaient.
Le passage pour accéder à la caverne se fait, de nos jours, en passant par le musée dédié à cette dernière. L’entrée de l'ancienne carrière est sombre et humide, comme on pouvait s’y attendre, mais elle est également jonchée de vestiges de la guerre avec notamment des casques allemands, français, australiens mais également des barbelés et leurs queues de cochon, des éclats d’obus ainsi que des armes en tous genres. On ne distingue pas la suite de la caverne, on dirait même qu’elle n’est pas plus grande que les quelques mètres carrés qui nous entourent, saturés pourtant de déjà trop d’horreurs pour un si petit espace : les armes et leurs baïonnettes laissent imaginer les souffrances qu'ont dû endurer les hommes blessés ou tués par leurs coups, les casques troués, sont le signe que leurs propriétaires sont certainement morts des suites de l’impact fracassant dont le casque possède les preuves. Les objets situés dans ces prémices de la carrière ont d’ailleurs été retrouvés au fur et à mesure des recherches des archéologues et de leurs macabres découvertes. La visite se poursuit et nous entrons alors dans un véritable dédale de pierre. Des dessins représentant l’arbre de la vie selon la religion chrétienne et des croix de cette dernière sont dessinés sur les murs, mais ils ont été réalisés par les ouvriers ayant travaillé avant le début de la guerre dans les carrières, à l’aide de leurs bougies. Les pans de pierre des murs sont espacés, la place y est large. Les soldats, pendant la bataille, avaient pu y installer des lits et étaient à l’abri des intempéries. Cependant, en se replaçant dans un contexte de guerre, même en étant plus confortable que les tranchées, la caverne restait tout de même inhospitalière. Les murs tremblaient certainement à chaque explosion, décrochant de la poussière des plafonds et des murs, la fumée provoquée par les armes et leurs dégâts rentrait et restait emprisonnée dans la caverne, l’humidité de cette dernière était décuplée par le mauvais temps (pluie voire neige) durant cette période et on ne trouvait aucune nourriture sans sortir, manœuvre extrêmement risquée. La visite continue alors et nous arrivons à une source. Un véritable puits aménagé par les soldats afin de pouvoir avoir de l'eau à disposition. Ce puits est d'ailleurs une aubaine pour des hommes qui n'ont accès qu'à très peu d'eau sur les champs de bataille, qui sont souvent déshydratés et qui, de ce fait et malgré eux, manquent d'hygiène.
Nous arrivons ensuite devant un plan du plateau qui se trouve au-dessus de nos têtes. La guide nous explique alors que les Allemands ont mené une contre-attaque à celle des Français le 26 juillet 1917 pour récupérer la carrière, ces derniers ayant réussi à la prendre après maintes tentatives. Cependant, ils la perdent à nouveau le 2 novembre de la même année alors que deux régiments avaient été mobilisés dans ce but (152ème et 304ème régiments). S'en suit alors une bataille perpétuelle pour reprendre la Caverne du Dragon qui se solde, chose somme toute étrange pour un conflit, par une « cohabitation », un « partage » de l'ancienne carrière. Cela est étonnant, mais après tout, ces personnes sont humaines, ce sont tous des soldats dans les mêmes conditions, et après une fraternisation le jour de Noël où des chocolats, cigarettes... ont été échangées, pourquoi ne serait-ce pas possible de nouveau ? Mais la guide s'explique rapidement : la « cohabitation » n'en était pas une. En effet, les soldats des deux camps avaient construit des murs entre eux et continuaient à tenter de prendre la partie de la caverne de l'autre. Ce qui était le plus convoité et le plus sujet au conflit restait le puits, celui qui leur permettrait en grande partie de survivre dans cette atmosphère hostile. Puis, vers la fin de la première Guerre Mondiale, la lutte s'intensifie. Chacun met au point sa stratégie : les Allemands construisent un, voire plus généralement, deux murs à l'entrée de la grotte, ainsi, si les ennemis veulent entrer ou sortir, ils en sont incapables parce que les cloisons les bloquent et ils se retrouvent sous les tirs ennemis. Ils ont également l'impossibilité de se défendre car les murs empêchent toutes tentatives de riposte. Cependant, les Français essayent de lancer du gaz dans la partie ennemie de la caverne. Leurs tentatives échouent car le gaz étant plus lourd que l'air, il descend au pied des cloisons et se trouve piégé entre les deux fameux murs allemands. Tout cela montre l'acharnement des deux camps à remporter des territoires et à enlever des vies. Le changement de la nature humaine que l'Homme s'est acharné à transformer durant des siècles en quelque chose de meilleur subit une métamorphose, et malheureusement pas dans le bon sens du terme. Ainsi, l'instinct de survie primitif reprend le dessus : tuer ou être tué : et c'est la loi du plus fort qui revient au galop.
La visite continue dans des espaces bien plus exigus. Des vestiges de réseaux électriques jonchent le plafond, signe que malgré la guerre et la panique générée par cette dernière, l'ingéniosité dont peuvent parfois faire preuve les humains est réelle. C'est même assez impressionnant de se dire que malgré le froid , les explosions , les tremblements du sol, l'humidité, le manque d'hygiène et même la présence des rats, les soldats ont su préserver assez de réflexions, de courage et de force (que la guerre leur arrachaient souvent) pour installer un aussi grand réseau électrique parcourant tous les plafonds de la grotte afin d'alimenter des ampoules, des téléphones et autres machines de cryptage/décryptage.
Nous arrivons ensuite dans une partie de la grotte où le sol remonte rapidement pour se rapprocher du plafond. C'est ici même que j'ai eu la réponse à une question qui me trottait dans la tête depuis le début de la visite, lorsqu'un de mes camarades l'avait posé: d'où vient le nom de « Caverne du Dragon » ? En face de nous se dresse une galerie à moitié effondrée. Les soldats l'avaient creusée afin de créer une nouvelle sortie inconnue des ennemies. Cependant, elle n'a jamais été terminée et une cuisine mobile y avait pris place. Cette cuisine rejetait de la fumée et les soldats à l'extérieur de la carrière la voyait, comme si un dragon la projetait en dehors de son antre, de là vient le nom de « Caverne du Dragon ».
La visite se poursuit et nous voyons, dans une paroi, un grand renfoncement. La guide nous explique qu'il s'agissait de l'infirmerie. Une infirmerie dans un lieu aussi insalubre ? Oui, réellement. Comment imaginer des soldats blessés, souvent gravement et même mortellement, et les médecins et infirmières s'agitant devant le nombre croissant de nouveaux combattants touchés par la morsure d'une arme, dans un lieu aussi inapproprié ? En effet, le lieu est humide, atmosphère de prédilection des bactéries et maladies, les plaies des blessés sont pleines de terre et le manque d'hygiène déjà considérable évolue encore et encore. Secourir devient alors très difficile et les soins prodigués deviennent très lourds, tels que des amputations. Malheureusement, beaucoup de soldats perdent la vie en souffrant, car les effectifs des médecins et infirmières sont insuffisants. La visite se poursuit vers une autre « pièce » où des extraits de films et photos de guerre sont diffusés. Cet endroit se trouve être un ancien cimetière provisoire où les corps étaient entassés en attendant de pouvoir être enterrés à la surface. La visite se termine dans l'apogée de la souffrance et de l'horreur.
Nous prenons alors le chemin de la sortie et voyons une œuvre d'art composée d'ampoules disposées sur des tiges de métal de différentes tailles et représentant les morts et disparus dans cette guerre. Cet instant de poésie est le bienvenu après l'atmosphère oppressante (allant crescendo) de cette visite. Cependant, le répit est de courte durée car la guide nous donne plusieurs chiffres de la guerre, dont un qui m'a particulièrement marquée : un mort tous les dix centimètres sur les champs de batailles, au-dessus de nos têtes. Un mort tous les dix centimètres ! Mais comment est-ce possible ? Tant de pères, frères, oncles, maris perdus au prix d'efforts inconsidérés pour la vanité humaine, la quête de pouvoir mais également contre l'oppression et pour la protection des familles. Mais ces raisons sonnent presque comme des excuses, car rien ne pardonne la perte d'un être cher.
Mais n'étant pas dans ce contexte et n'ayant pas connu cette époque qui, je le souhaite, ne se reproduira jamais, il m'est impossible de juger. Tout cela paraît tellement fou et affreusement triste que même ces termes restent des euphémismes.
Nous continuons donc à marcher vers la sortie et arrivons devant de petites vitrines remplies d'objets absolument magnifiques réalisés par les soldats, certainement lorsqu'ils en avaient le temps ou lorsqu'ils devaient s'occuper pour occulter ce qu'était devenu leur quotidien. Même dans les temps les plus sombres, la beauté et la poésie arrivent à se trouver une petite place et prouvent que l'optimisme est encore présent, qu'il reprendra à un moment ou à un autre ses droits et sa supériorité sur le chaos.
La visite se termine ainsi, sur cette accès de légèreté qui fait du bien à tout le monde.
Ce voyage m'a permis de mieux comprendre les affres de la première Guerre Mondiale et ses principales batailles. Cela m'a également permis de mieux replacer les événements et leur déroulement ainsi que de toucher du doigt les tactiques adoptées par chaque camp, comme s'ils jouaient une partie d'échecs géante et tragique. Les lieux que nous avons vus étaient très divers, nous permettant de prendre conscience de l'ampleur de la guerre et son déroulement sur tous les fronts. En repartant, dans le bus, même si l'atmosphère se voulait enjouée, je ne pouvais m'empêcher lorsque je regardais le paysage défiler devant mes yeux, d'imaginer dans une plaine des tranchées assaillies par les tirs ennemis venant de la crête et, en contre-bas, des mines et des assaillants cachés, attendant le moment où il faudrait sauter sur l'ennemi pour lui trancher la gorge dans des combats au corps à corps avec des armes de fortune et, partout, des corps tombant par milliers, inanimés.
Shanna, élève de Terminale L