Une habitude française pour le moins particulière​​

​​Vous êtes-vous déjà rendus dans les rues de Paris aux environs de huit heures ? On y rencontre un procédé très courant, présent dans toutes les grandes villes de France et attisant la curiosité des touristes de nationalités différentes. En effet, on observe des dizaines d'hommes, le visage crispé, la tête baissée, et dont les jambes effectuent un étrange mouvement régulier, presque mécanique entre la marche et la course qui semble être une tradition française incontournable. Comme on pourrait s'y attendre, ils ne portent pas de pantalons confortables afin d'exercer un quelconque sport matinal, non, au contraire, ils sont le plus souvent sur leur trente-et-un, semblant se rendre à un évènement prestigieux dont ils ne veulent rater aucun instant.

​Ces personnages effectuent, en plus de cette forme de déplacement particulière, un geste très rapide qui consiste à lever un de leur poignet, toujours le même, à la hauteur de leur visage pendant moins d'une seconde, puis, de le laisser retomber, flasque le long de leur corps ou dans une poche de leur manteau si le temps n'est pas assez convenable, tout en continuant leur démarche étrange et en réitérant ce mouvement vif dès qu'ils en ressentent le besoin. Cette habitude étrange que l'on ne comprend pas au premier abord, consiste en réalité à regarder l'heure sur une montre plusieurs fois par minute. Il y a deux explications : on peut penser que ces hommes trouvent le temps long et croient que plus d'une minute s'est écoulée depuis la dernière fois où ils ont détaillé leur poignet, ou bien on imagine qu'ils ont simplement oublié l'heure qu'il est, tant ils ne pensent qu'à garder cette démarche rapide, sans pouvoir contenir une autre information dans leur tête.

​Cette fameuse attitude qui ressemble fort à une course ne vient pas d'une quelconque superstition tirée de la civilisation antique, mais d'un trait de caractère, propre aux individus de nationalité française : ils sont pressés. Tellement pressés qu'ils en oublient l'heure qu'ils viennent de regarder. Pressés même s'ils ont une heure d'avance, même s'ils n'ont rien à faire de la journée. Il s'agit d'un phénomène permanent et présent dans la France entière. Cependant, une institution bien connue ne respecte en aucun point ce principe devenu obligatoire dans les rues de Paris : la SNCF. Effectivement,  leurs trains arrivent tout le temps en retard, bousculant les Français dans des habitudes ancrées au plus profond d'eux-mêmes et les mettant extrêmement mal à l'aise. Si bien que des rumeurs racontent que les agences de train appartiendraient à des rebelles qui ne comprendraient pas l’intérêt des français pour cette habitude pourtant évidente. Mais les rumeurs sont peut-être un peu extrêmes. Quoique apparemment, un jour, un français, lassé de devoir chaque fois attendre son train, avait questionné un travailleur de cette fameuse institution qui lui avait répondu : " Nos trains ne sont peut être pas toujours à l'heure, mais ils sont de bonne qualité, c'est le plus important non ? " Cette réponse si cruelle et très inhabituelle avait alors aidé à faire perdurer cette rumeur, et, en option, à énerver le peuple français encore un petit peu plus. En effet, comment pouvait-on dire que quelque chose était plus important que la ponctualité !?

​De plus, nous observons, dans le Sud-Ouest de ce pays, un autre trait de caractère qui ne respecte pas cette loi inébranlable et qui est appelé le "quart d'heure charentais". Ce principe consiste, pour les Charentais pure souche, à arriver un quart d'heure en retard, au moins, voire plus, comme si ils ne possédaient pas l’accessoire indispensable à chaque français : une montre bien réglée. Ils ont peut être en leur possession une montre spéciale, faite avec une quinzaine de minutes de retard pour respecter cette tradition qu'ils estiment beaucoup plus importante que le fait d'être pressé. ​

​​Néanmoins, en observant longuement les grandes villes bondées de Français à la limite de courir, nous remarquons qu'il existe bien une seule et unique manière de les arrêter dans cette course folle. En effet, lorsqu'un de ces spécimens croise le chemin d'une autre personne qu'elle côtoie régulièrement, ces deux connaissances s'arrêtent en même temps, laissant de côté leur démarche rapide afin d'entreprendre une discussion plus ou moins palpitante, en oubliant totalement le temps qui passe et l'heure qu'il est. Mais malgré cet élément, leur instinct reprend très vite le dessus dès que la conversation se termine. Ainsi, à partir du moment ou une des deux personnes commence à reprendre sa route, l'autre, énervée d'avoir perdu du temps, recommence à exécuter fidèlement sa démarche vive, peut-être plus rapidement qu'avant si c'est encore possible, puis, dans un mouvement mécanique, un peu rouillé de ne pas l'avoir effectué pendant plusieurs minutes, lève son poignet à la hauteur de son visage, afin de constater le temps perdu qu'elle aurait pu passer à faire comme tout le monde : marcher le plus rapidement possible pour atteindre un point éloigné qu'elle ne connait peut-être même pas. Mais après tout, ce mouvement est dans sa nature, et, de par sa nationalité, cette personne ne peut pas faire autrement que d'être pressée. Elle est française ou non ?

​Leïla, Littérature et société.